Réflexions sociales



Je ne réussirai évidemment pas à décrire la situation sociale d'un pays en un seul texte, parce que je n'ai pas plusieurs décennies devant moi, parce que je ne peux me baser que sur ce que j'ai vu, ce sur quoi j'ai discuté, ma perception. Après quelques mois en Roumanie, j'ai seulement l'impression de constater, à peine de commencer à comprendre. Donc juste pour prévenir que mes réflexions ici sont basées sur ce que j'ai vécu, et sont teintées de mon «background» de personne qui a grandi dans l'Ouest. Je ne veux pas porter de jugement objectif, simplement rapporter mes constats, et ce que moi personnellement j'en pense. Je ne suis pas non plus experte dans l'histoire et la politique de la Roumanie alors pour des informations plus précises et complètes, je vous dirige vers Internet!

Point sur les Roms

J'aurais bien aimé qu'une diseuse de bonaventure me tire les cartes dans une caravane colorée, mais c'est loin de dépeindre la réalité du 21e siècle.

La Roumanie, comme beaucoup de pays d'Europe, a fait partie de la décennie d'inclusion des Roms, de 2005 à 2015, qui visait à mieux les intégrer dans la société, briser les préjugés dont ils sont victimes, etc. Dans les fait, je ne pense pas que ça ait été une réussite. Même avec toute la bonne volonté du monde, j'ai malheureusement adopté la même attitude que les Roumains à l'égard des Roms. Pas tous! Ceux qui travaillent, ont un logement, on ne les remarque même pas. (En fait, un peu quand même, ils sont originaires d'Orient, donc pour leur apparence physique ils ressemblent par exemple à des Indiens.) Mais ceux qui sont en ville, qui quêtent... Ils sont soit ignorés, soit méprisés. 

Ce qui s'explique par le fait que... ils quêtent,  certains assis sans bouger, mais beaucoup en venant solliciter les gens, surtout ceux qui ont l'air de touristes.
Ça me mettait mal à l'aise au début, puis maintenant ça m'énerve. Le mieux est de les ignorer, ou s'ils sont vraiment dans ma bulle, par exemple en me touchant, je dis non sans les regarder, et ça les fait partir vers quelqu'un d'autre. Ça peut paraître méchant dit comme ça, mais quand ça arrive tous les jours, ça finit par être vraiment gossant.
Surtout en sachant que ce sont presque juste des enfants qui quêtent en achalant les gens. Des enfants poussés à agir comme ça par leurs parents. Qui ont plein d'enfants parce que plus ils en ont, plus ils reçoivent de l'aide financière du gouvernement. Roue sans fin. 
Quand tu es dans un restaurant tranquille et que 3 fois pendant le repas, un enfant différent vient essayer de vendre des fleurs. Ou tu marche dans la rue et un enfant vient marcher sur tes talons pendant quelques mètres en marmonnant des phrases sans vie parce qu'il les a trop répétées. En roumain, en romani. Quand tu vois un bébé qui passe la journée dehors en plein hiver parce que la mère s'en sert pour attirer la pitié des gens...
Oui ça peut faire pitié au début de voir ça. Oui certains sont probablement réellement dans le besoin. Oui c'est une série de mauvais tournants dans l'histoire qui a amené cette situation aujourd'hui. Oui la haine des Roumains envers les Roms est transmise depuis si longtemps que la source est peut-être devenue nébuleuse.
Mais ce que j'ai appris en parlant avec les gens ici est que malheureusement beaucoup de Roms «de ville» veulent tirer avantage de leur situation. On m'a prévenue de les ignorer, ce que j'ai un peu lâchement fait, je n'ai pas les ressources pour essayer d'amorcer un changement dans leur attitude... Oui c'est horrible, j'ai ignoré des enfants qui me demandaient de l'aide. Mais je le sais, et on m'a prévenue, si je les écoute, ça ne va pas améliorer leur condition de vie, ça va juste faire qu'ils vont tous se ruer vers moi et ça peut devenir dangereux. Peut-être ont-ils été conditionnés, maintenant ils sont pris dans l'engrenage, et il y a énormément de travail à faire des 2 côtés pour les intégrer dans le monde actif.

Un article pour donner une idée de la vie de certains Roms à Bucarest. À noter qu'il semblerait que la réalité n'est pas si pire, mais je n'ai pas voulu y aller pour juger.
Un témoignage encourageant
Un article éclairant


Pour les Roms qui vivent à l'écart dans leur village, je n'en sais pas assez sur le sujet mais je vous invite à lire ce texte
Tout ce que j'ai vu sont des villages plus précaires que ceux des Roumains.

Bref, la place des Roms est un sujet très controversé. Je sais que des gestes haineux ont été posés envers des Roms, et c'est inexcusable. Je sais aussi que beaucoup voient les Roms comme une nuisance. Mon opinion est que je suis tannée de me faire achaler par les enfants, j'en veux à leurs parents, grand-parents, à ce qui leur a imposé cette façon de vivre, mais moi-même je ne vois pas de bonne solution.

Exemple de fleurs vendues

 Point sur les traces du communisme


Clairement dans l'organisation gouvernementale, mais pour ça, tout a été dit.

La prison érigée à Pitesti pour tous ceux qui représentait une menace pour le communisme, et ses effets aujourd'hui. Le sujet est macabre mais très intéressant. Bien que celle-ci soit une des plus connues, cette pratique était courante ailleurs en Roumanie, et ailleurs dans les pays voisins. Par exemple, je sais de source sûre qu'il y en a eu des installations semblables en Bulgarie.

Pour en savoir plus (attention aux âmes sensibles):


Clairement, je pense que pour beaucoup, le communisme a été une période douloureuse de l'histoire. Mais il y a aussi un effet parallèle, dans la plus vieille génération, qui trouve aujourd'hui difficile d'avoir plus de responsabilités et qui regrette un peu l'époque communisme, pas pour l'oppression, mais certainement pour la tranquillité d'esprit d'être pris en charge par le système. Avant, les revenus étaient assurés, pas besoin de planifier la retraite, pas besoin de travailler plus que nécessaire, pas vraiment d'opportunité d'améliorer son sort.

Pour les générations plus jeunes, l'adaptation est en train de se faire, mais la mentalité acquise des précédentes n'est pas si facile à oublier. Il y a l'attrait et la motivation de travailler fort pour maintenant avoir la possibilité d'un meilleur salaire, et même, d'émigrer. Avant, on acceptait son sort, maintenant on peut travailler pour l'améliorer. Les jeunes sont pleins d'espoir pour le futur, ils veulent prendre l'avenir de leur pays en main, ils sont inspirants.
Campagnes anti-corruption, entrée dans l'Union Européenne, future entrée dans l'Espace Schengen. Le futur est prometteur, les restes du communisme sont encore présents dans le paysage, dans les souvenirs, dans les habitudes, dans les mentalités.
Un exemple flagrant qui me vient en tête est un relent de déresponsabilisation... encore une fois, je ne juge pas, je constate. Une façon simple de représenter ce que je veux dire est avec une image tangible. Ce qui touche directement quelqu'un, par exemple sa maison, son appartement, est impeccable, propre, décoré, accueillant. Mais ce qui n'appartient à personne, ou à tout le monde, le couloir, les cages d'escaliers, les ruelles, le transport public... les gens n'y font pas attention. Certainement pas par malice, mais je crois que c'est juste parce qu'ils sont habitué à ne pas s'en occuper, «quelqu'un» va le faire, et avant, c'était le système communisme qui prenait soin de tout, et maintenant... Quelqu'un, personne, en tout cas pas «moi».
Ça existe aussi au Québec. probablement partout dans le monde, c'est tellement plus simple, c'est peut-être même la seule façon de penser pour certains! Mais c'est assez flagrant en Roumanie, dans les anciens pays communistes, qui le sont encore un peu.

Ça transparaît dans des anecdotes de vie de tous les jours... par exemple, l'aventure du bureau de poste.... Aller chercher un colis est pas mal compliqué. En le suivant sur Internet, je savais exactement à quel date il est arrivé. Mais je n'ai reçu le papier dans ma boîte aux lettres que plusieurs jours plus tard. Il y avait un bureau de poste proche de chez moi. Mais celui où je devais aller chercher mon colis était à 1h de marche. Longue file pour le récupérer. Puis longue file pour le faire examiner pour voir si c'est légal, et quels genre de frais douaniers j'aurais à payer.
Les colis que j'ai reçus sont d'autant plus précieux à mes yeux grâce à ces souvenirs...

Au bureau de poste


Point sur l'architecture
 
On remarque évidemment en premier lieu dans l'architecture, car toutes les villes de ce coin du monde en sont dotés, des fameux blocs communistes destinés à entasser tout le monde des campagne venu prêter main forte à l'industrialisation.



Je vais reprendre l'analogie d'une auteure croate qui a écrit de nombreux textes sur l'Europe, après le communisme, dans un papier où elle explique comment se définie la frontière entre la ville et la campagne. Cette frontière en en fait floue, parce que longuement progressive.
Au centre de la ville, les bâtiments historiques, ceux qui ont été préservés. Autour, les blocs, relativement modernes. Mais en s'éloignant du centre, ils deviennent plus délabrés. Il y a assez d'espace entre eux pour créer des cours à scrap, où s'entassent des affaires dont personne ne veut s'occuper. Puis, il semblerait que ce soit là où la frontière se fait, la vie de campagne des parents et grands-parents des habitants des blocs se recrée à travers le béton, avec des mini-fermes, des ateliers, des petits magasins. C'est la périphérie de la ville, ça faisait partie de la ville avant, mais c'est déjà presque redevenu la campagne.
 

 
 
Encore une fois, je reprends l'analogie, mais c'est comme si ces gens avaient voulu embrasser le mode de vie moderne en déménageant en ville, mais leurs racines les ont rattrapés.

Et puis, on dirait presque un anachronisme, des constructions très récentes poussent à travers tout ça. Et des ruines qui datent de centaines d'années, de la guerre, d'un projet de construction/déconstruction abandonné, d'histoires peut-être fascinantes mais inconnues ou oubliées.

La décoration de vieux bâtiments est relativement fidèle à l'image qu'on se fait:
 
Le bureau du gardien de l'opéra:
 

La vieille buanderie réaménagée en bureau où j'allais payer comptant pour des services d'entretien d'immeuble dont je n'ai jamais vu les résultats:
 
 
 
Et évidemment, beaucoup de châteaux, plusieurs iconiques:
 
 
 
 
Point sur la religion

Orthodoxe en grande majorité. Rares églises catholiques. La 2e Guerre Mondiale a considérablement réduit la population juive. Il reste 1 synagogue à Brasov. J'en ai parlé dans mon blogue sur Bucarest, la sécurité est très grande dans les lieux juifs.
Outre le fait qu'il y a énormément d'églises dans le paysage, je n'ai pas senti une forte influence religieuse dans la sphère publique. C'est plus dans la vie personnelle. La seule trace que j'ai vraiment remarquée, c'est dans le parler des gens généralement âgés, qui ont tendance à se dire au revoir avec des formules qui se traduiraient comme «que Dieu te garde» ou autres. Un peu comme nous quand on s'exclame «oh mon dieu».
Aussi, j'ai vu ça en bus, les personnes âgées font le signe de la croix en passant devant une église.

Je ne l'ai pas vécu, mais il semblerait que pendant la période précédant Pâques, la viande n'est pas consommée, ce qui fait qu'il y a une grande variété de plats végétariens dans la cuisine roumaine.


 En vrac


Des chiens errants la nuit...


Et des chiens bien surveillés:

Casiers pour déposer ses affaires en faisant l'épicerie
Un ingénieux système pour conserver son lunch un frais sans s'embêter d'un frigo:






Je ne voudrais pas laisser une impression négative avec ces sujets trop sérieux! Ce qui fait le pays, c'est les gens, et les Roumains sont plus que généreux, fiers de leurs coutumes, accueillants, bavards, prêts à s'amuser, ouverts sur le monde, et c'est ce que je vais retenir. Ils aiment passer du temps dehors, ils supportent bien l'alcool, ils parlent plusieurs langues, ils conservent les recettes de leurs ancêtres, ils sont cultivés...

Et aussi ils sont farceurs





Commentaires

  1. Encore un texte vraiment enrichissant, beaucoup de recherches et de réflexions durant tes quelques mois en Roumanie. J’ai pas tout lu sur le site internet je vais y revenir.

    Merci de partager tes expériences.



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  2. Allo,
    Je suis bien content que tu reprennes du service sur ton blog.
    Ce regard sur ton passage en Roumanie avec le recul de quelques mois est selon moi très clairvoyant.
    Au sujet des Roms je t'invite à lire l'opinion de Mike Horn sur le sujet dans son livre Latitude Zéro à la page 260.
    Je n'aime pas l'histoire de Pitesti car il démontre comment L'homme est capable du pire envers ses pairs.
    Mateï qu'on a eu la chance de connaître est en tout point conforme avec ta conclusion.
    Et la conclusion de la conclusion est bien drôle!
    PAPA

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    1. Je te félicite pour ton beau commentaire sans faute! En plus, je pensais que tu n’avais pas le temps de lire, mais voilà que je constate le contraire.

      Tu m’as donné le goût de lire Latitude zéro de Mike Horn. Je l’ai réservé à la bibliothèque. Je devrais l’avoir bientôt.

      Ta maman.

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  3. J’espere que ça va fonctionner cette fois. C’est un test.

    Lisette

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  4. Je reprends mon commentaire raté.

    Morgane, tu nous amènes loin de la danse avec tes réflexions sociales sur la Roumanie et les Roms en particulier. C’est très intéressant mais je dois dire que ce sont des sujets qui nous sont étrangers ici, bien que le Canada ait été et soit encore confronté au problème de ses autochtones. C’est ce qui se rapproche le plus de la situation des Roms en Europe.

    Ça démontre que tu as vraiment voulu comprendre la réalité du pays qui t’a accueillie même si ton séjour a été de courte durée. C’est normal que tes réactions soient teintées par ta mentalité occidentale. Tu as eu la chance de pouvoir t’imbiber un peu d’une culture différente et tu as gardé le désir d’approfondor cette réalité.

    Les textes-liens sur la prison de Pitesti et les traitements réservés aux non-communistes donnent la chair de poule, mais des horreurs semblables ont existé et existent encore partout à travers le monde pour des causes (!) de toutes sortes. L’humain a plusieurs facettes, pas toutes reluisantes!!!

    Tes photos sont très descriptives, y compris la dernière.

    Une belle chronique. Merci


    Lisette

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