Réflexions linguistiques


En tant que linguiste, voyageuse et simplement curieuse des langues, j'ai rassemblé beaucoup d'observations et de réflexions langagières dans mes voyages et surtout dans ma vie ici, les voici...

Quand je voyageais avec mes parents, je n'avais pas besoin de parler. Maintenant que je voyage seule, et surtout, dans des pays plus reclus mettons, je suis infiniment reconnaissante d'avoir appris l'anglais, et je constate en plus la richesse d'au moins baragouiner quelques mots de la langue du pays visité.

Je parle anglais grâce à mes parents qui m'ont forcée à écouter la télé en anglais, puis grâce à la lecture. Mais j'ai atteint un niveau que je qualifierais de fluide grâce à mon premier voyage solo en Pologne, où j'ai dû me débrouiller seule en anglais, tous les jours mes communications étaient uniquement dans cette langue. Depuis, mes séjours en Slovaquie et Croatie et maintenant Roumanie ont décuplé cet effet. À part par téléphone pendant quelques minutes chaque jour, je parle pratiquement seulement anglais toute la journée. Ça fait que... c'est devenu fluide, et mon accent québécois qui m'a bloquée pendant tellement longtemps, maintenant je m'en fous. Surtout que je ne parle qu'avec des gens qui ont un fort accent roumain ou slave! Donc c'est vraiment un atout d'être forcée de pratiquer sa deuxième langue.

À petite échelle, sur moi personnellement... selon mon opinion, l'anglais enseigné au Québec fait pitié. Cette opinion est renforcée par le fait que je rencontre ici et ailleurs plein de gens qui parlent un excellent anglais langue seconde, un niveau que ne pourront jamais atteindre les Québécois qui comptent seulement sur leur cours d'anglais. On aurait beaucoup à apprendre non seulement sur la qualité des cours, mais surtout sur la façon d'envisager l'importance et la place de l'apprentissage de l'anglais dans la scolarité. Apprendre une deuxième langue ne fait pas disparaître la première... ça amplifie la connaissance métalinguistique de la première et ça permet d'être un adulte indépendant et débrouillard en-dehors du Québec.

En Europe, parler plusieurs langues est une richesse, un avantage, une nécessité, une obligation. Il y a tellement de cultures qui se côtoient, les frontières sont proches, les familles se mélangent, c'est juste normal ici de parler au moins 2 langues.

Ici en Roumanie et dans les autres pays que j'ai visités, l'usage de l'anglais est pas mal répandu. Pour être certaine de tomber sur quelqu'un qui parle anglais, dans un magasin par exemple, je choisis un jeune (puisque c'est l'anglais en ce moment qui est le plus enseigné), et je suis toujours ravie de pouvoir me faire répondre dans un anglais lourd d'accent mais très fluide. Parfois même, les personnes plus âgées me surprennent en anglais! Mais généralement pour cette génération, c'est surtout le russe ou l'allemand qui est connu. À l'époque du rideau de fer, c'était plus pratique!

Dans les contrées slaves de Pologne, Croatie et Slovaquie, ma connaissance du russe a été cruciale pour me permettre de me débrouiller dans les milieux reculés où les gens ne parlaient pas anglais. Demander/comprendre des indication/pancartes/ingrédients... Être un bon touriste, je trouve, c'est pouvoir montrer son appréciation de la culture du pays avec quelques mots.

En Roumanie, l'îlot latin d'Europe de l'Est, c'est plutôt et heureusement le français qui m'aide dans les situations où l'anglais ne m'est pas accessible. Jusqu'à la fin des années 90, c'est le français qui était le symbole d'ouverture et beaucoup de Roumains de plus de 30 ans environ ont au moins une connaissance de base, et une grande admiration pour le français. Et, grâce aux racines communes, je peux réussir à deviner le sens de certains mots.

Mon roumain maintenant... Avant de venir ici j'ai suivi des cours en ligne pour avoir une base. Je ne suis malheureusement pas devenue bilingue, mais j'ai beaucoup appris naturellement et maintenant, après 7 mois de vie roumaine, ma compréhension orale et surtout écrite est bonne, mais mon roumain parlé est bof. Parfois je n'ai pas le choix, c'est la seule langue que j'ai en commun avec un interlocuteur, et je suis dans ces moments "d'urgence" surprise de voir que j'en sais plus que ce que je pense. Être jetée sur le tas, c'est une excellente méthode d'apprentissage forcé. De la langue et du mime ;)

Nous francophones sommes choyés ou plutôt privés d'une précieuse source d'apprentissage: la télévision. Les (mauvaises) traductions nous sont accessibles... alors que pour les habitants de pays dont la langue n'est parlée que dans ce pays presque, ce n'est pas rentable de produire une traduction. Les enfants grandissent donc avec des dessins animés dans une langue étrangère et par la force des choses, l'apprennent. Selon mes collègues roumains, c'est en grande partie à ceci qu'ils doivent leur connaissance de l'anglais (mais aussi de l'italien, de l'allemand, du russe...)

Je veux faire un parenthèse sur mon amie Kalina, Bulgare, qui a un parcours linguistique intéressant. Elle parle évidemment bulgare et anglais, grâce à la télé et à des cours d'anglais qui ont du bon sens. Les langues slaves du sud (bulgare, serbe, bosniaque, croate, slovène, macédonien, monténégrin) sont très proches, ce qui a fait que lorsqu'elle a travaillé pendant quelques mois en Bosnie, elle n'a pas eu à apprendre la langue, mais simplement à adapter son bulgare.
Nous passons parfois des journées entières à discuter en anglais, notre seule langue commune et malgré le fait que nous nous parlons sans difficulté, nous nous heurtons parfois à des barrières linguistiques... Parfois, une photo suffit pour la franchir, pour décrire une réalité canadienne qui n'existe pas dans l'inconscient bulgare (disons au hasard les bancs de neige encore présent en mars, ou les crottes de fromage, "cheese poop"). Mais parfois des notions sont "lost in translation"... Ce que n'aide pas nos systèmes linguistiques. Ce que je veux lui dire est formulé dans ma tête en français, puis je dois le traduire en anglais pour l'énoncer. Kalina reçoit cette information en anglais et l'interprète en bulgare... On passe d'un système de langue latine, à un système de langue germanique, puis à un système de langue slave, et vice-versa. 3 grammaires et systèmes spatio-temporels différents, et puis avec les extensions sémantiques, les métaphores, le champ lexical de chaque mot, qui diffère pour chaque langue... C'est évident qu'avec 3 langues d'écarts, il peut y avoir des frustrations. Quand je parle avec un autre Québécois, je peux créer du sarcasme par exemple, ou même ne pas finir ma phrase, parce qu'avec notre système linguistique commun, la fin de la phrase est implicite et le sens est compris. Avec Kalina, je ne peux pas faire ça... on n'a pas les mêmes repères. Heureusement, avec nos expériences linguistiques variées, on est au courant du problème et on passe simplement plus de temps à essayer de traduire une notion qui n'a pas d'équivalent exact. Et on rie des propositions de Google Translate. C'est une vraie richesse de rencontrer et discuter avec des gens qui parlent d'autres langues! Ça me force à réfléchir à d'autres formulations de phrases, à des synonymes.

Commentaires

  1. Ajoutez vos expériences et opinions!

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  2. WoW toute une réflexion. Je pense comme toi on a beaucoup à apprendre, les avantages de connaître au moins une autre langue est vraiment un atout. Quand je suis allée en Espagne la plupart des gens que j’ai rencontré parlaient trois langues je voulais pratiquer mon espagnol mais naturellement ils me parlaient en français même chose au Mexique et au Costa Rica eux parlaient parfaitement anglais.

    Voilà mon opinion et mon expérience assez limitée.

    On s’en reparle.



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    1. C’est drôle comment ailleurs effectivement les habitants peuvent s’adapter aux touristes... et nous c’est pas une force mettons 😕

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  3. En tant qu'ancien professeur de français et d'anglais, je trouve tes réflexions on ne peut plus à point! On pourrait en parler longtemps,surtout que tu as tellement raison dans ton appréciation de l'enseignement de l'anglais au Québec.

    Au plaisir de se parler sur facetime,

    grand papa
    xxx

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    1. Malheureusement je ne pense pas que l’enseignement va changer... ceux qui réussisse à apprendre l’anglais passent par un autre chemin que l’école. Même au Cégep, j’avais des cours du niveau le plus élevé et je trouvais que ça faisait dur. Ce qui est incohérent c’est qu’à l’université, pour beaucoup de programmes, la maîtrise de l’anglais est essentielle (beaucoup de lectures sont en anglais), on passe un test d’anglais en entrant et il faut faire des cours d’appoint si besoin 🙄

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  4. Même si mon anglais est plutôt rudimentaire, je peux apprécier la brillante réflexion en début de ton texte. Je peux plus facilement lire l'anglais que l'écouter et le parler, évidemment.

    Malgré les quelques efforts que j'ai faits pour améliorer cette langue par des cours, il m'a toujours manqué l'essentiel pour le maîtriser, "l'occasion" de le parler. Et comme tu as pu en faire l'expérience, la meilleure façon est l'immersion ou l'obligation de s'en servir. Tu es vraiment chanceuse d'être en contact avec l'anglais et avec d'autres langues, à travers tes voyages. C'est un enrichissement certain.

    Ton grand-père Pierre est né et a vécu à Farnham une ville à forte population anglophone. Il a appris à parler anglais, naturellement. Puis il a fait une année d'études en Californie. Quand je l'ai rencontré, il était parfaitement bilingue et je l'enviais. Je n'ai pas eu ces opportunités-là.

    Ma carrière en enseignement a été orientée surtout vers le français que je désirais inculquer le mieux possible à mes élèves. La lecture et l'écriture du français étaient des activités essentielles pour moi depuis mon enfance. Plus tard comme jeune femme, j'ai même considéré l'anglais comme une menace à ma langue! Maintenant je reconnais que c'est une lacune dans ma vie de ne pas être bilingue. J'y ai survécu mais je ne peux nier que l'anglais est une langue primordiale et mondiale et que l'enseignement devrait être à la hauteur.

    Mais il me semble que tous les jeunes apprennent l'anglais par la musique anglophone qui domine la culture ?

    Voilà la réflexion que je partage avec toi.


    G maman Lisette

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    1. Je ne savais pas que Farnham était surtout anglophone!
      Je pense que la musique est un bon contact avec l’anglais, mais pas spécialement une bonne méthode d’apprentissage.

      Selon moi l’anglais n’est pas une menace... l’emprunt entre les langues est une marque de vitalité et le phénomène est là depuis toujours! Les changements qui se passent en ce moment dans le français sont nécessaires pour que le français continue à évoluer avec nous, à décrire notre nouvelle réalité, à communiquer par nos nouvelles méthodes. Une langue qui ne s’adapte pas est une langue morte...

      Je trouve aussi que malheureusement le français n’est pas super bien maîtrisé ici non plus. Ça cache peut-être un problème dans l’enseignement des langues en général. Le français se démarque par le fait que les adultes font encore des fautes en le parlant/l’écrivant. Alors que dans les autres langues, ce n’est pas un phénomène remarqué. Je pense qu’une des causes est l’enseignement nivellé par le bas, pour plein de raisons, qui font que les règles ne sont pas bien apprises. Oui il y en a beaucoup en français mais ça demanderait simplement plus de temps et de dévotion, comme les autres pays font. Il y a aussi peut-être une part de fierté nationale... les gens en Europe sont très fiers de leur pays, leur culture, leurs traditions. L’identité nationale passe par la langue, particulièrement pour des peuples qui ont connu des périodes d’assimilation forcée sous un joug étranger. Je trouve que c’est resté, et qu’aujourd’hui, parler sa langue correctement est une marque d’attachement à sa culture. Et en même temps, parler d’autres langues est un symbole de réussite sociale et d’ouverture vers le monde.

      Nous francophones de l’extérieur de Paris souffrons d’insécurité linguistique. L’histoire qui a placé la capitale sur un piédestal a favorisé ce phénomène dont l’ampleur est propre au français. On a appris que notre français est mauvais comparé à celui de France (les Suisses, Belges, et même Français du Sud en souffrent aussi). Entre autres parce que la réforme de la langue française de 1850 ne nous a pas touchés (mais les colonies africaines fondées après 1850 oui, c’est pour ça que les Africains ont un français qui se rapproche énormément de celui de France).
      Et au lieu de célébrer notre lexique particulier, nos expressions, nos tournures de phrase, nos emprunts qui font toute la richesse et représentent notre identité québécoise, différente de celle des Français, on en a honte, on pense que ce sont des preuves de notre mauvaise maîtrise du français, au lieu de les voir pour ce que c’est réellement, des marques identitaires, dues à notre histoire, nos contacts, notre réalité d’aujourd’hui propre à nous.


      Et malheureusement, cette insécurité linguistique est renforcée par la minorité fermé d’esprit français qui clame qu’on parle mal, et par celle québécoise, conditionnée, qui lui répond en écho.

      Et parallèlement à ça... notre système d’éducation ne parvient pas à inculquer les règles du français aux élèves.

      Il faut apprendre à écrire sans faire de fautes d’orthographe et de grammaire... puis apprendre que en-dehors de ça, nos expressions, notre façon de parler, notre accent, ce n’est pas une faute, ce n’est pas une honte, c’est notre variété de français, qui a sa place au même titre que les autres variétés de français, et de toutes les autres langues du monde!

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  5. Bonjour

    Merci pour la générosité de ta réponse.

    Pour l'instant, je veux juste corriger l'impression que j'ai donné de Farnham. Je ne dis pas que Farnham est surtout anglophone mais elle a été fondée par les Loyalistes et a gardé ce caractère longtemps avec une assez grande population anglophone qui l'a développée. Il en est ainsi pour toute la région qu'on appelle Les Cantons de l'est.

    Dans mon enfance et ma jeunesse, j'ai fréquenté cette ville qui était probablement plus anglophone qu'aujourd'hui. Les noms de rue étaient et sont encore en majorité anglais et en plus de l'église principale catholique, deux temples protestants (anglicans) desservaient les familles anglophones.

    Elles se sont sûrement adaptées à l'environnement culturel québécois français au cours du temps. Mais je ne peux parler de la situation actuelle.

    La compagnie américaine Collins and Haikman, usine de textile pour automobiles, où travaillaient le père de Pierre et mon oncle maternel, était le principal employeur de la ville. Je me souviens qu'il y avait plusieurs familles japonaises qui avaient appris l'anglais pour venir travailler à cette usine de Farnham. Mon oncle était leur patron et presque voisin, alors lui et sa femme anglophone aimaient les fréquenter.

    Les parents de Pierre étaient bilingues, son père ayant travaillé dans les chantiers du Maine avant son mariage et sa mère étant allée faire son cours de secrétariat à Brockville en Ontario.

    Je termine en disant que le choix unanime de nos premiers voyages en Europe, Pierre et moi a été d'aller en France pour retrouver un peu de nos racines. Deux très beaux voyages sans barrière de la langue, dans mon cas!

    Enfin, un extrait d'un article de ce matin dans Le Soleil, de Jean-Marc Fournier, ministre responsable de la Francophonie, etc: ......" Dans le monde, nous sommes 275 millions de francophones et francophiles ... Le français est, avec l'anglais, la seule langue parlée sur les cinq continents et, après l'anglais, la langue vivante étrangère la plus enseignée dans le monde. Le français n'est pas une langue dépassée. C'est une langue d'avenir. Le français est un cadeau offert au Canada par les 10,5 millions qui le parlent..... "

    Je reviendrai sur d'autres aspects de ton texte très sensé, sans créer de polémique, mais pour dialoguer simplement, si tu permets.

    Merci pour tes précieuses informations


    G maman Lisette xxxx

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    1. Tout ce que je connaissais des Cantons de l'Est c'est le ranch Massawippi donc pour moi ça sonnait surtout amérindien :D Merci pour les infos!

      Qu'est-ce qui a motivé le choix du voyage à Budapest?

      Quel article qui tombe à point!!

      J'aime beaucoup parler de linguistique!

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  6. Bon, je me sens dépassée par votre dialogue mais tout de même fière de parler français et de t'avoir enfoncé (de force) l'anglais dans la tête!!!
    Maman xxx

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    1. L'anglais, le goût de voyager et la joie de l'activité physique!

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